Il y a un an, le Sénégal remportait sa première Coupe d’Afrique des Nations (CAN) au Cameroun face à l’Égypte (0-0 ; 4-3). Aliou Cissé, l’entraîneur héros des Lions, revient sur comment il a préparé et vécu le sacre de ses hommes entre la finale perdue en 2019 contre l’Algérie à celle victorieuse devant les Pharaons.
Aliou, revenons au 19 juillet 2019. Le Sénégal vient de perdre la deuxième finale de CAN de son histoire contre l’Algérie (0-1). Quelle a été votre première pensée lorsque l’arbitre a sifflé la fin du match ?
Je me suis dit : « Voilà ! Un autre rendez-vous raté ». Un autre rendez-vous loupé et une autre finale perdue. Un jour de défaite. C’est très compliqué, c’est très difficile parce qu’on voulait tellement gagner cette coupe, l’amener au pays pour nos supporters, pour le peuple sénégalais. Cela n’a pas pu se réaliser. Je suis très amer, très malheureux, forcément sur le moment. On se dit au fond, on a encore loupé le coche.
Est-ce que, comme la plupart des Sénégalais, vous vous êtes dit « C’est une malédiction ». Chaque fois, le Sénégal arrive avec un bel effectif, de bons joueurs, mais il n’y jamais la coupe au bout. Comme déjà en 2022 et la finale perdue…
(Catégorique) Non ! Pas du tout. Je crois en Dieu. Ce qu’il faut d’abord rappeler, c’est qu’en 2019, l’Algérie avait une très bonne équipe. Sur cette Coupe d’Afrique, elle était la meilleure équipe. Elle avait vraiment sacrément bien joué. Maintenant, une finale se joue sur des détails. J’ai pu tout imaginer dans la préparation de cette finale-là, sauf qu’on pouvait prendre un but aussi rapidement, et aussi tôt dans le match (2e minute) et surtout dans des conditions aussi bizarres. Après, on avait aussi des opportunités de pouvoir revenir dans ce match, mais à un moment donné, on a confondu vitesse et précipitation. Après, on ne peut pas parler de malédiction, c’est une finale ratée. C’était juste la deuxième finale du Sénégal, on ne peut pas parler de malédiction si on n’a pas joué et perdu beaucoup plus que deux finales. Sur ce match et sur cette CAN, l’Algérie était la meilleure équipe, il faut être sportif et accepter que l’adversaire ait été meilleur.
Quel a été le votre discours après cette finale en direction des joueurs ?
Tout simplement que j’étais fier d’eux. Je n’avais absolument rien à leur reprocher. Ils ont donné ce qu’ils pouvaient. Leur attitude, leur professionnalisme a été magnifique, C’est une finale perdue, mais ce qu’on a montré dans cette CAN présageait un meilleur avenir. Cette défaite, il fallait la prendre comme une expérience qui allait nous servir. Cette défaite, aussi amère que cela puisse être, nous a permis de préparer 2022.
Vous vous êtes aussitôt projeté sur la prochaine CAN, en 2022 ?
Il m’a fallu un peu de temps quand même. Pour me reposer, retrouver ma famille, parce que la CAN, évidemment, vous prend énormément d’énergie. Mais au bout de deux-trois semaines, on a envie de repartir. Le soir de cette défaite, j’avais déjà essayé de remobiliser les joueurs en les encourageant, même s’il était difficile de les consoler, car eux tous rêvaient d’amener cette coupe au pays. Mais, l’essentiel est qu’on a su nous relever et c’est ça la force de cette équipe. Se servir de cette grande déception pour réaliser ce qu’ils ont réalisé, c’est énorme.
Vous avez dit tout à l’heure que vous aviez tout imaginé en 2019, sauf ce scénario du but encaissé au bout de deux minutes. En 2022, vous aviez imaginé le scénario de la finale que vous gagnez aux tirs au but face à l’Égypte ?
Oui, on avait imaginé ce scénario parce que dans ma carrière de footballeur, j’ai eu la chance de jouer quand même trois, quatre finales, que ce soit en club avec le Paris Saint-Germain ou avec la sélection. Je sais que les jours de finale, tout peut se passer. Il faut se préparer à jouer 90 minutes ou plus et aller aux tirs au but. La seule chose importante dans une finale, c’est la gagner. On savait que cette finale pouvait se régler dès le début de la rencontre comme dans les prolongations ou les penaltys. Mon seul souci était que mon équipe rentre bien dans ce match, parce qu’après, ça peut déterminer le scénario final. Une finale, c’est beaucoup de stress, beaucoup de pression. On était à 90 minutes de ramener une coupe au pays. Le match en soi n’était pas difficile, mais l’enjeu a alourdi le jeu. Toute la semaine, je ne cessais de dire aux joueurs : « Il est important de bien débuter cette finale ». Et on a bien débuté avec ce penalty obtenu à la 5e minute. On le rate, mais derrière, les attitudes sont bonnes, les garçons continuent à attaquer, on est équilibré sur le plan défensif. En réalité, on a joué le match qu’il fallait jouer.
Qu’est-ce qui vous a traversé l’esprit quand Sadio Mané rate le penalty après 5 minutes de jeu ?
On n’a pas le temps de gamberger, les Égyptiens étaient déjà en train d’attaquer, donc, il fallait que les joueurs restent dans le match. Même si on avait marqué, le match allait être difficile. Personne ne lâche une finale comme ça, surtout les Égyptiens qui s’y connaissent bien. Rater ce penalty nous a poussé à être attentifs jusqu’à la fin du match et allez au bout de nous-mêmes. Les victoires sont plus belles quand vous allez les chercher au plus profond de vous-mêmes. C’était difficile, c’était compliqué, mais nous l’avons gagné et c’est ça qui est important. C’est ce qui a changé un petit peu dans notre mentalité. Les joueurs sénégalais maintenant, jusqu’à la 95e minute, ne lâchent rien. « Dem ba diekh » (‘« aller jusqu’au bout », en wolof).
La plupart des Sénégalais avaient peur que la finale aille aux penaltys, parce que l’Égypte avait éliminé la Côte d’Ivoire (huitièmes) et le pays organisateur, le Cameroun (demi-finale), aux tirs au but. Et en plus, il y avait un gardien particulièrement craint dans cet exercice, Gabarski. Comment on fait pour chasser tout ça dans l’esprit des joueurs et faire que la pièce tombe du bon côté ?
Tout simplement parce que je n’accordais pas d’importance à ces faits-là, ces statistiques. On ne peut pas analyser le football avec ces faits, même s’il faut en tenir compte. Ce qui était important, c’est que, nous aussi, nous nous sommes préparés pour ce scénario. On savait qu’on pouvait aller aux tirs au but et tout le monde savait ce qu’il devait faire. Depuis le début de cette CAN, nous nous sommes préparés à tirer des penaltys. Qu’importe ce qu’a pu faire l’Égypte avant, nous, on était prêts. À chaque séance, on prenait au moins dix joueurs pour frapper les penaltys. On savait que tôt ou tard, on allait passer par là et quand cela arriverait, les garçons avaient le mental nécessaire pour passer. Quand Bouna (Sarr) rate le premier tir, aussi, on voit que l’attitude, le comportement, la posture reste la même. Ce sont des petits détails qui donnent des certitudes à notre équipe, et transmettent le doute aux adversaires. Même quand Édouard Mendy arrête le quatrième tir égyptien, rien n’est fait. Le football, c’est ça, il y a tellement eu de retournements de situations qu’il faut rester concentré jusqu’au bout.
Entre le moment où Mendy arrête le penalty et celui où Sadio Mané est devant le ballon pour le cinquième tir sénégalais, qui peut être décisif, qu’est-ce qui vous a traversé l’esprit ?
Quand Sadio Mané avance, j’ai mon bras posé sur mon adjoint, qui me dit « Si Sadio marque, on est champions d’Afrique ». Comme si je ne le savais pas (rires). J’ai confiance, je me dis que Dieu est bon. Ce n’est pas possible que cela soit autrement. (Il répète) Ce n’est pas possible que cela soit autrement. Aujourd’hui, c’est notre soir, Dieu ne peut pas faire ça. Je suis positif et je me dis que Sadio va le marquer. On n’a jamais été aussi près de gagner la CAN. Dans ma tête, Sadio, il ne peut que le mettre. Il n’y a pas d’autre option, ce n’est pas possible que Dieu soit… (il ne termine pas sa phrase).
Et Sadio le marque…
Ma tête explose. Je suis dans un état second. On se dit, voilà, on est champions d’Afrique, on a enfin, nous aussi, notre étoile. On ne réalise pas. Jusqu’à maintenant, on ne réalise pas totalement. Je sais qu’on est champions d’Afrique, mais je pense que c’est dans 10, 15 ans qu’on réalisera carrément. Aujourd’hui encore, on est dans le « game ». Les matches continuent ; la Coupe du monde, la prochaine CAN. Il y a tellement d’échéances qu’on n’a pas vraiment le temps de savourer. Mais c’est fait, on a gagné la première Coupe d’Afrique pour le Sénégal. Et ma pensée aujourd’hui va à tous ces présidents de fédérations, tous ces entraîneurs qui ont bataillé pour gagner cette CAN et qui n’ont pas eu la chance de la remporter et qui ne sont plus là : Bruno Metsu, Jules Bocandé, Karim Séga Diouf avec qui, tout a commencé. Je sais que ce soir du 6 février, ils nous voyaient et ils devaient être fiers.
Une dernière question, à quel moment vous vous êtes « mis dans la tête » de gagner une coupe d’Afrique avec le Sénégal ? Quand vous étiez gamin dans les rues de Ziguinchor ? À votre arrivée, adolescent, en France ? Lors de votre première sélection ?
J’ai toujours rêvé d’être footballeur professionnel et de jouer une Coupe du monde. Je voulais être champion du monde et dans nos quartiers, quand on jouait, on était la France, le Brésil, l’Allemagne, mais pas le Sénégal (Rires). La Coupe d’Afrique, je l’ai rêvée à partir de 1986 et la CAN en Égypte. J’étais jeune (10 ans), je regardais Jules François Bocandé, Thierno Youm, Oumar Guèye Sène, Boubacar Sarr Locotte. Ils nous impressionnaient. Quand Bocandé venait à Ziguinchor, c’était l’émeute ; Johnny Hallyday qui descendait dans les rues de Paris… Les rues étaient bloquées parce que Bocandé venait. Quand on voyait ça, on avait envie d’être à sa place, de sentir tout cet engouement, d’aller jouer pour le Sénégal et de gagner la CAN un jour.
Avec RFI.fr